Un homme meurt dans un accident de voiture. La famille, alors, se rend compte, qu’il n’était plus aussi prospère que ça. Son usine de clous (oui c’est drôle !) ne marchait plus tellement. Du coup, la demeure familiale est mise en vente.
Une famille succinctement présentée, mais où Marlen Haushofer glisse déjà des fissures, des troubles.
Après plusieurs échecs d’acheteurs, arrive Betty.
Taiseuse, peut-être malade, le fils est perturbé : il l’apprécie et se sent un peu mal à l’aise en sa présence. En tout cas, elle semble vouloir acheter la maison. Pour la nuit ils l’hébergent dans la chambre d’ami.e.s.
Le récit alors change de point de vue, et plonge dans la tête, les pensées, les frissons de Betty. Dans un tiroir, elle découvre des cartes postales et des photos d’un autre temps. Un autre temps qu’elle a connu. Un monde dont elle ne fait plus partie.
Et alors Betty va faire face à son passé. Comment cette femme a un jour fuit, tout quitté. Comment de la jeune fille élevée par les sœurs, va découvrir qu’elle pose trop de questions, pense trop, n’arrive pas à rentrer dans le moule. Comment la jeune femme va tenter de suivre le chemin tout tracé de l’épouse, la mère, et ne pas s’en contenter.
Marlen Haushofer, comme pour le Mur Invisible, décrit une femme solitaire, dont elle va nous décrire toutes les aspérités, les forces.
Betty est seule par choix. Parce que le monde est hostile, on lui demande des choses qu’elle ne comprend pas, qu’elle ne veut pas. C’est un personnage étrange, qui semble manquer complètement d’empathie, n’arrive pas à s’attacher aux autres humains, à ressentir des attachements forts et inaltérables. Elle a soif du monde, de découvertes, de liberté.
Par ce portrait, petit à petit, Marlen Haushofer, sans tenter de tout expliquer, laissant énormément de place au lecteur et à la lectrice de se questionner, va montrer comme le monde peut enfermer, empêcher d’être soi. Et comment aimer si l’on se sent inadaptée, incomprise, différente ?
Une écriture très fine, tout en sous-entendus, qui graduellement, par touches précises, forme un tableau complexe de femme puissante, libérée, honnête.
Mais dans Une poignée de vie, vous n’aurez jamais complètement toutes les réponses, la distance que crée Haushofer, et son personnage Betty, avec sa propre histoire, déroute, intrigue, et entraîne dans un univers particulier, une écriture étrange, qui pourrait sembler atone mais qui touche fort et justement.
Trad.Jacqueline Chambon
Publié en 1955 – Édition Actes Sud 2020