Au fin fond de la Hongrie rurale, une ferme collective est en train de péricliter. Les habitants sont perdus, mornes, inquiets, et rêvent d’un impossible échappatoire. Quitte à trahir son plus proche voisin. Un matin, deux anciens habitants reviennent, avec eux renaît l’espoir de partir pour un ailleurs meilleur… mais peut-on leur faire confiance ?
Krasznahorkai a une écriture d’une densité incroyable, avec des phrases longues, qui digressent entre deux virgules, qui donnent une respiration tendue et glissante à la fois. Comme un corps trempé de pluie qui a des frissons électriques. Parce qu’on est trempés constamment dans ce livre. L’auteur parvient incroyablement bien à décrire le petit village de Hongrie paumé, la boue, la pluie, le froid, le poêle dans le bar crasseux, les verres de palinka que les habitués s’enfilent les uns derrière les autres, les vitres embuées derrière lesquels des yeux observent, le craquement du bois. Immergée complètement dans l’atmosphère, l’auteur donne une vraie vie palpable à ce livre.
Quelques bémols sur la longueur de certains passages, où il part dans des sortes de longues explications-descriptions, où il semble se faire plaisir avec des scènes, certes bien décrites, mais qui finissent par manquer d’originalité (des personnages de ratés aigris et enfermés dans leurs existences qu’on a déjà croisés des millions de fois, des séquences de paperasseries qui pourraient être tellement drôles si elles ne sentaient pas le réchauffé…).
Mais le récit garde sa force, l’écriture rendant palpable l’ambiance, le poisseux à ne pas pouvoir s’en détacher.
Tango de Satan creuse dans le plus écœurant de l’humanité. Peu, très très peu, de moments où on respire gaiement, où la légèreté s’installe. Rien n’est à sauver dans ce livre, et surtout pas les hommes et les femmes.
Ils sont tous mauvais, menteurs, avares, envieux, cruels, égoïstes, opportunistes, mous, et crasseux.
Krasznahorkai arrive incroyablement à donner corps à ses personnages, et à ces lieux. Avec, en plus, une pointe de surréalisme, d’onirisme, qui surgit, et se mêle à un réalisme terre-à-terre qui finit par devenir une sorte de conte moral, voir d’un passage biblique.
Un roman troublant, immersif, où l’humanité tourbillonne dans les bras du mal.
Editions Folio (16.03.2017)
Editions Gallimard (15.06.2000)
1985 (première édition)