Deux récits parallèles se répondent, s’alimentent, se font écho : celui de Mary Treat, scientifique botaniste, et entomologiste célèbre du XIXe siècle, et celui de Willa Knox, journaliste au chômage prise dans les filets d’une vie qui s’écroule.
Deux périodes qui se font incroyablement écho avec ce qui se passe aujourd’hui, avec le gouvernement actuel américain.
Tout se passe à Vineland (New Jersey), une ville utopiste, créé par Charles Landis, société utopique sans alcool basée sur l’agriculture et la pensée progressiste. Un lieu où la société aurait du mieux vivre, mais où les inégalités sociales et la fermeture aux idées modernes vont creuser les écarts, au profit du promoteur politicien Landis.
Le parallèle entre Landis et Trump est plus que frappant : la mégalomanie, la fermeture aux théories scientifiques, la priorité aux riches… et l’aveuglement face aux problèmes sociétaux. Les descriptions de l’un, les sous entendus sur l’autre, sont très grinçants.
Willa et sa famille vivent dans une maison qui s’écroule, une maison sans fondation (symbole fort), où la pluie et la neige s’infiltrent, dont les toits s’effondrent.
Il y a le fils prodigue, aux belles études, mais endetté pour payer celles-ci, dont le monde est en totale perte de repères car toutes les belles promesses du gouvernement ne suivent pas.
Le père, universitaire, qui n’a jamais eu de travail stable, ballotté d’une fac à l’autre.
Le grand père sans couverture sociale.
Willa, journaliste de 50 ans, qui ne vaut déjà plus rien professionnellement.
La fille, Antigone, Tigger, personnage révoltée, est d’une lucidité tranchante face au monde capitaliste qui perd pied. Une note d’espoir, une milleniale qui par bidouillage, souci écologique, système de trocs, petit boulots et beaucoup de solidarité, détient peut-être les réponses aux problèmes actuels.
Mary Treat, qui vit dans sa maison, isolée, veuve, scientifique, qui a correspondu, entr’autre, avec Darwin, dans une époque où la vision du monde est bousculée, avec la théorie de l’évolution. Elle est considérée comme une vieille excentrique un peu folle par les habitants Vineland.
Son voisin, Thatcher, prof, marié à une bourgeoise déchue, aime la Vérité, croit à l’Enseignement pour s’élever socialement. Défenseur de Darwin, passionné par les nouveautés scientifiques, mais confronté à un monde qui refuse les pensées modernes.
Il noue avec Treat une relation stimulante, une amitié forte, d’échanges sur l’étude du monde.
Un livre à l’écriture affuté, tranchante.
Un livre avec beaucoup de niveaux de compréhension de ce que disent/vivent les personnages, une épaisseur psychologique, historique, sociétale, avec une empathie dans l’écriture qui les rend attachant.e.s, le tout saupoudré d’une douce ironie, et porté par une ampleur romanesque qui accroche à la lecture.
Un roman prenant, palpitant, engagé, fondamentalement anti-Trump : qui dénonce le sexisme, le manque d’aides sociales (des maisons qui tombent en ruines, des vieux et malades qui n’ont pas de couverture médicale, une chômeuse trop femme, trop proche de la retraite pour retrouver un travail, et qui n’a droit à rien, une vie à crédit qui mène à la précarité).
Un nouveau livre de Barbara Kingsolver, une nouvelle fois ancré dans la problématique écologique (l’autrice a une formation de biologiste, a tenté l’expérience locavore), dans les questionnements politiques, avec un regard profondément humaniste.
Ed. Rivages, août 2020
Trad. Martine Aubert
Autre livre de l’autrice sur notre site
On m’appelle Demon Copperhead, Barbara Kingsolver (2024)
Barbara Kingsolver, née le 8 avril 1955 à Annapolis dans le Maryland, est une écrivaine américaine. Sous forme de romans, d’essais, de nouvelles ou encore de poèmes, ses écrits reflètent son intérêt pour la justice sociale et la biodiversité. Elle a écrit plus de 17 ouvrages, et On m’appelle Demon Copperhead est son 9e livre.