Quelque part, à la campagne, une jolie maison qui mérite quelques travaux. Un homme et une femme, mariés. Un bébé. C’est l’été, l’homme joue avec son fils dans la piscine en plastique installée dans le jardin. La femme est postée, à l’ombre, et imagine que la chaleur caniculaire, dans sa main, se transforme en couteau. Mais elle se lève, et va juste étendre le linge.
Ariana Harwicz signe un roman sans fard sur une femme qui lutte contre l’ennui, les nuits d’insomnie, l’emprisonnement, le carcan d’une vie, et les pulsions violentes qui l’envahissent, fissurent son enveloppe de femme, d’épouse et de mère.
Un monologue entre poésie, folie, détresse et violence, qui dénonce l’enfermement des femmes dans des modèles imposés par un monde patriarcal aveugle, sourd et égoïste.
Crève, mon amour est un roman difficile à lire. Être dans la tête de cette femme, étouffée, épuisée, en colère, avec de rares moments de répit, dérange, heurte, trouble et interpelle. Un rapport à la nature qui pourrait être salvateur, mais qui ne suffit pas dans un monde où il faut toujours revenir au rôle qu’on lui impose, duquel elle ne parvient pas à sortir.
Troublant, dérangeant, violent. Lire ce livre c’est ne pas savoir où on est et où on va. C’est être parfois plongée dans des scènes d’un quotidien bien réel, palpable, et étouffantes pour la narratrice, et sombrer dans des moments délirants, à la violence contenue et fantasmée.
L’écriture est complexe, dense, à suivre (ou se perdre) les pensées d’une femme qui ne supporte plus son existence, de femme, d’épouse, de mère…
Hors norme.
Extrait :
Je me suis allongée sur l’herbe au milieu des arbres abattus et le soleil brûlant contre ma paume m’a donné l’impression de tenir un couteau avec lequel me saigner d’un coup sec à la jugulaire. Derrière moi dans le décor d’une maison à la fois délabrée et accueillante j’entendais les vois de mon fils et de mon mari. Tous les deux à poil. Tous les deux en train de barboter dans la piscine en plastique bleu remplie d’une eau à trente-cinq degrés. C’était un dimanche, la veille d’un jour férié. J’étais à quelques pas d’eux, cachée dans les broussailles. Je les épiais. Comment une femme faible et malade comme moi qui rêve d’avoir un couteau à la main pouvait être la mère et la femme de ces deux individus ? Qu’allais-je faire ? Je me suis cachée en m’enfonçant plus profondément dans la terre. Je ne le tuerais pas. J’ai laissé tomber le couteau. Suis allée étendre le linge comme si de rien n’était. J’ai soigneusement disposé sur le fil les chaussettes de mon bébé et de mon homme. Les slips et les chemises. Je me suis vue comme une bonne péquenaude ignare qui pend le linge et s’essuie les mains sur sa jupe avant d’entrer dans la cuisine. Ils n’ont rien remarqué. L’opération longe a été un succès. Je suis retournée m’allonger entre les troncs.
(Ed. Seuil. 2020
Trad. Isabelle Gugnon)