Les années 80. Cléo, 13 ans, d’une famille modeste, pratique la danse
dans une MJC. Évidemment qu’elle rêve de s’échapper de sa ville de
banlieue, évidemment qu’elle rêve de gloire, de sortir du lot. Mais
est-elle assez douée, assez déterminée, pas trop mate ?
Quand Cathy,
belle femme, gracieuse, charmeuse, élégante, l’aborde et lui parle d’une
bourse à laquelle elle pourrait avoir droit, pour intégrer une école
spéciale, où tous les jeunes de talent peuvent réaliser leurs rêves,
Cléo est fascinée, happée, et prête à tout ce qu’elle peut pour séduire
le jury.
À coups de petits cadeaux et de pression, Cathy l’entraîne dans un univers où les faveurs se monnayent, du temps contre un billet, un frôlement de genou contre un billet supplémentaire.
Le
roman va se dérouler sur presque 40 ans, déroulant et dévoilant
habilement des pans de la vie de Cléo, mais vus à travers les yeux de
celles et ceux qu’elle a croisé, à des moments charnières de son
existence.
On découvre ainsi, à la fois, la vie de cette jeune
fille, puis de l’adulte, les étapes franchies, les rencontres
déterminantes, les blessures apparentes, le mutisme. Cléo toujours
accrochée à son rêve de danseuse, qui en connaîtra la discipline jusqu’à
meurtrir le corps, le travail jusqu’à l’esclavagisme.
Une femme qui va tenter de s’oublier, mais qui laissera des traces bouleversantes chez ceux et celles qu’elle va croiser.
Raconter
la vie de Cléo à travers le regard des autres, c’est aussi montrer que
l’on peut savoir, sentir, deviner, entendre les failles de l’autre, mais
qu’il suffit souvent de tourner la tête pour passer à autre chose.
C’est montrer la fragilité et la force des personnes résilientes.
La
force de ce livre repose sur ce choix de narration multiple, qui rend
chacun et chacune responsable, sans non plus écraser de culpabilité,
mais montrer que la société accepte, ferme les yeux, et qu’il suffit
parfois d’une personne pour que la parole se libère, que la vérité
éclate, et qu’une victime soit sauvée.
Lola Lafon signe un roman
magistral, qui dévoile les mécanismes mis en place par les prédateurs
sexuels, la façon dont leurs filets se resserrent, puisant leur force
dans la culpabilité qu’ils enterrent au cœur de leurs victimes.
L’autrice
aborde aussi avec beaucoup de justesse un monde fracturé socialement,
un terreau d’inégalité des chances, de racisme, grâce auquel les plus
pervers peuvent planter leurs graines de manipulation.
Un livre efficace et très émouvant, une peinture lucide des maux de notre société, avec une certaine douceur qui prend le temps d’envelopper les victimes pour leur laisser le temps de parler.
Éditions Actes Sud (Août 2020)
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